
Risques et blessures auditives en milieu de travail : comprendre, prévenir et agir
Le bruit est l’un des risques physiques les plus répandus dans les milieux de travail québécois. Invisible et souvent banalisé, il peut entraîner des blessures auditives permanentes, altérer la qualité de vie et nuire à la sécurité des travailleurs. Selon la CNESST, la surdité professionnelle demeure une des maladies professionnelles les plus fréquentes et coûteuses.
Cet article propose une vue d’ensemble sur les symptômes, les traitements, les mesures de prévention et de gestion des risques ainsi que les secteurs d’activité les plus exposés.
Comprendre les blessures auditives liées au bruit
Mécanisme physiologique
Le bruit endommage les cellules ciliées de l’oreille interne. Ces cellules, responsables de capter les vibrations sonores et de les transformer en signaux électriques pour le cerveau, ne se régénèrent pas. Ainsi, chaque exposition excessive entraîne une perte irréversible.
Valeurs limites d’exposition
Au Québec, la réglementation fixe les seuils suivants :
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85 dBA sur une période de 8 heures (niveau moyen quotidien – Lex,8h).
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140 dBC pour les bruits impulsionnels (pics sonores).
Chaque augmentation de 3 dBA double l’énergie sonore reçue par l’oreille. Par exemple, travailler 4 heures à 88 dBA équivaut à 8 heures à 85 dBA.
Symptômes et conséquences
Symptômes précoces
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Bourdonnements ou sifflements (acouphènes) après le travail.
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Difficulté à suivre une conversation dans un environnement bruyant.
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Impression que les gens « marmonnent ».
Conséquences à long terme
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Perte auditive permanente : d’abord sur les fréquences aiguës, puis sur l’ensemble du spectre.
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Isolement social : difficulté de communication au quotidien.
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Fatigue accrue et stress : le bruit augmente la charge mentale et le risque d’accidents.
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Diminution de productivité : erreurs plus fréquentes, ralentissement du travail.
Risques indirects
Outre les atteintes à l’ouïe, le bruit peut aussi provoquer :
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augmentation de la pression artérielle,
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troubles du sommeil,
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maux de tête,
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interférence avec les alarmes sonores, augmentant le danger d’accident.
Secteurs d’activité les plus à risque
Certaines industries sont particulièrement exposées en raison des équipements et procédés utilisés :
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Construction : marteaux-piqueurs, scies circulaires, perceuses pneumatiques.
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Métallurgie et fabrication : presses, découpe de métaux, moulage, soudage.
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Industrie du bois et foresterie : tronçonneuses, scies mécaniques, abatteuses, débusqueuses.
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Mines et carrières : dynamitage, concassage, foreuses.
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Textile et imprimerie : métiers à tisser, presses rotatives.
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Transport et mécanique : compresseurs, freinage pneumatique, moteurs puissants.
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Alimentation : abattoirs, chaînes de production, ventilation industrielle.
Même des secteurs de services peuvent être touchés : restaurants (broyeurs, hottes puissantes), services de divertissement (bars, spectacles), écoles (gymnases bruyants).
Traitement et suivi médical
Prise en charge clinique
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Repos auditif immédiat : éviter de prolonger l’exposition après des symptômes.
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Évaluation médicale : audiogramme de dépistage dès l’embauche, puis périodique pour les postes à risque.
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Aides auditives : prothèses auditives ou implants cochléaires selon la gravité.
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Thérapies pour acouphènes : générateurs de sons, thérapie cognitive-comportementale.
Limites du traitement
Contrairement à une blessure musculosquelettique, la surdité professionnelle est irréversible. La prévention demeure la seule véritable stratégie.
Gestion des risques : la démarche CNESST
La CNESST recommande une démarche en trois étapes simples mais incontournables : identifier, corriger, contrôler.
1. Identifier
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Évaluations sonores avec sonomètres et dosimètres.
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Grilles de repérage pour repérer les situations bruyantes.
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Consultation des travailleurs : test de communication (« si vous devez hausser la voix à 1 mètre, le niveau dépasse 85 dBA »).
2. Corriger
La hiérarchie des mesures de prévention doit être respectée :
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Élimination ou remplacement : achat de machines moins bruyantes, procédés alternatifs.
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Contrôles techniques : encoffrement, silencieux, matériaux absorbants, entretien des roulements.
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Mesures organisationnelles : réduction du temps d’exposition, horaires décalés, rotation du personnel.
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Équipements de protection individuelle (EPI) : bouchons d’oreilles moulés, coquilles antibruit, casques intégrés.
3. Contrôler
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Réévaluation périodique des niveaux de bruit.
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Suivi des audiogrammes pour chaque employé exposé.
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Vérification de l’efficacité des mesures techniques et administratives.
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Formation et sensibilisation continue.
Outils et ressources disponibles
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Calculette de la CNESST pour estimer l’exposition quotidienne.
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Guides CNESST :
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Prise en charge des risques liés à l’exposition au bruit (mesurage, identification).
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Moyens pour réduire l’exposition (solutions techniques et organisationnelles).
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Sélection et utilisation des protecteurs auditifs (choix des EPI adaptés).
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Normes applicables : CSA Z107.56, ISO 9612, RSST, CSTC.
Bonnes pratiques de prévention
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Planifier l’achat d’équipements silencieux dès la conception d’un atelier ou d’un chantier.
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Former les superviseurs à détecter les signes précoces de perte auditive.
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Prévoir un programme d’entretien préventif pour limiter les bruits anormaux.
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Intégrer la gestion du bruit au programme de prévention global de l’entreprise.
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Créer une culture de la sécurité auditive : rappeler aux travailleurs que le port des protecteurs n’est pas une option mais une obligation.
Conclusion
Le bruit en milieu de travail est une menace silencieuse mais bien réelle. Ses effets sur l’ouïe sont irréversibles, mais parfaitement évitables avec une bonne gestion des risques. La prévention repose sur trois piliers : identifier les sources de bruit, corriger à la source ou par des moyens techniques, et contrôler dans le temps.
Les employeurs du Québec ont l’obligation légale, mais aussi morale, de protéger l’audition de leurs travailleurs. Car une oreille endommagée ne se répare pas, mais une machine trop bruyante peut être remplacée.